#11 les mirages du théâtre et la voie poétique de l'acteur
Bientôt, sortira chez L’Harmattan mon prochain ouvrage : "Les Mirages du théâtre et la voie poétique de l’acteur". Le contrat a été signé hier. Il me semble qu'on pourra considérer qu’il s’agit d’une sorte de manifeste, à l’origine de la création de La Réenchanterie.
POÉTIQUETHÉÂTREPARUTION
Erica Letailleur
10/25/20244 min read
J’ai toujours l’impression de courir après le temps.
Je fais trop de choses, dans trop de domaines différents, avec trop de monde, je ne m’arrête jamais, quand je m’arrête je me sens inutile et il faut immédiatement de manière absolument impérieuse que je trouve quelque chose à faire, quelque chose d’utile, quelque chose qui a du sens, c’est une espèce de boucle infinie dans laquelle je finis par m’épuiser mais si je dis que je suis fatiguée alors le monde autour de moi pense que je manque de dynamisme et que je suis désormais trop vieille parce que je ne réagis pas au quart de tour et tout simplement parce qu’il me faut trois tasses de café noir avant d’être complètement réveillée le matin parce que si je n’ai pas ça je suis endormie et endormie veut dire pas efficace si je ne suis pas efficace alors cela veut dire que je vais être en retard pour faire tout ce que j’ai à faire dans la matinée, la journée, la semaine, le mois, l’année et les années passent et ne se ressemblent pas mais avant tout, il faut rester dans le rythme. Je dois être dans l’instant et en même temps avoir déjà une idée de ce que nous ferons la saison prochaine, et celle d’après, et encore après. Et parfois, c’est dur. La vie est une chose très dure.
Paradoxalement, pour beaucoup de choses, il me semble prendre presque trop de temps.
Huit ans pour la thèse, quinze ans de recherche sur le jeu de l’acteur pour comprendre ce qui fait sens pour moi au théâtre et encore je ne suis pas si sûre d’avoir totalement compris, j’ai plus de quarante ans et je n’ai toujours pas choisi certaines choses dans ma vie de femme et ma vie d’artiste quand est-ce que ce sera le cas parce que le monde autour de moi s’impatiente et finit par me faire croire que si je ne me décide pas maintenant les choses n’arriveront jamais, qu’un silence est égal à un non et que même si un changement de décision est possible on n’est quand même pas dans un jeu vidéo où on pourrait effacer ce qui s’est passé entre-temps, l’entre-temps c’est du temps mort peut-être ou peut-être que le temps de la réflexion et de la création n’est pas assez utile et l’utilité aujourd’hui c’est le maître-mot de la vie et de la création, alors même si le processus et le cheminement sont plus importants que le résultat est-ce que ce n’est pas finalement et seulement le résultat qu’on partage le plus souvent avec le monde ? Est-ce que six ans pour publier un livre qu’on a déjà mis huit ans à concevoir, c’est trop ? surtout si finalement, le résultat est déroutant, parce que les pensées qui y sont contenues ne sont plus d’actualité pour moi ? – Pour moi d’accord, mais pour les autres, est-ce que quelqu’un y comprendra quelque chose, à ce livre compliqué qui est comme du concentré de pensée sur le théâtre, pas dilué, pas sucré, pas illustré ? Je cours après ma propre actualité, après une pensée qui se formule en décalage avec le moment où elle est arrivée, il y a des années, dans un contexte oublié.
Pourquoi est-ce qu’on garde des traces de notre travail vivant passé ? De notre vie vivante ? Construire un souvenir pour le souvenir, ça m’a toujours paru bizarre, c’est comme prendre des photos à tout prix, pour garder la mémoire des choses parce qu’on sait qu’elles n’adviendront plus. C’est précisément le caractère éphémère du théâtre, comme la vie, que j’aime. Alors pourquoi est-ce que je cours après les traces ? – Pour informer sur les réseaux sociaux : dans l’instantanéité des choses qui se passent. Et parfois, je photographie, j’écris, je note, je crée pour partager, mais c’est un partage pour de faux, parce que ce qui est vivant dans le partage, ce qui fait qu’on éprouve vraiment de la joie là-dedans, c’est précisément le fait d’être ensemble dans un même espace et au même moment. Si on nous retire la présence collective et qu’on ne partage plus que des signes, des mots, ce qu’exigent les algorithmes, est-ce qu’on partage encore vraiment ? Sérieusement ?
Comment, alors, faire la distinction entre tous les mirages qui nous environnent dans notre relation au vivant dans les arts et ce qui nous anime – qu’on pourrait appeler une voie poétique. Honnêtement, si je savais, je n’aurais pas besoin d’écrire là-dessus.
Tout ça pour dire que bientôt, sortira chez L’Harmattan mon prochain ouvrage (qui est en réalité une trace de ma réflexion commencée il y a bien des années, à partir de ma thèse) : Les Mirages du théâtre et la voie poétique de l’acteur. Le contrat a été signé hier. Et on pourra considérer qu’il s’agit d’une sorte de manifeste, à l’origine de la création de La Réenchanterie. Donc c’est important d’en parler ici.