#12 Point de départ

Je souhaitais simplement partager un texte souvenir, co-écrit en 2006 avec Ali Ihsan Kaleci, pour la formation que nous avions créée. Aujourd’hui, c’est toujours l’acteur qui est au centre du travail que je mène, parce que je suis toujours autant convaincue que le partage des présences est l’élément le plus indéfectible de l’art que nous pratiquons.

THÉÂTREACTEURFORMATION

Erica Letailleur

11/7/20243 min read

Il y a des années, avec Ali Ihsan Kaleci, nous avons lancé un programme de recherche création sur l’autonomie de l’acteur. Beaucoup de temps a passé, nos chemins se sont séparés après de nombreuses années. Pendant le temps où nous avons travaillé ensemble, nous avons développé des résidences puis un festival international d’arts vivants en Cappadoce et à Paris, j’ai eu la chance de rencontrer de nombreux professionnels en France, mais aussi en Turquie, en Grèce, en Azerbaïdjan, en Italie, Autriche, Albanie, Canada… Après cette expérience longue et qui m’a façonnée sur le plan intellectuel et artistique, j’ai piloté d’autres projets de coopération, enseigné au Conservatoire National d’Ankara… puis quitté le théâtre avant d’y revenir. J’ai enseigné, donné et organisé des conférences sur des sujets très divers, créé une compagnie…

Deux constantes, cependant : le souci de transmettre et le théâtre.

Je souhaitais simplement partager ce texte souvenir, par lequel tout a commencé, d’une certaine façon. Aujourd’hui, c’est toujours l’acteur qui est au centre du travail que je mène, parce que je suis toujours autant convaincue que le partage des présences est l’élément le plus indéfectible de l’art que nous pratiquons.

« Devant une activité qui se multiplie et s’éparpille, l’art de l’acteur et son apprentissage restent profondément empiriques. Dans cette démarche, l’art de l’acteur n’est plus déterminé que par une certaine habileté à reproduire l’image de lui pour laquelle il a été engagé. En effet, aujourd’hui l’acteur est engagé pour tenir un emploi, de manière utile, et non pour participer au processus de la création, qui dépend en totalité d’autres que lui.

Au cours des années, il nous est arrivé de rencontrer bon nombre d’acteurs professionnels. Bien souvent, nous nous étonnions de l’aspect purement aporétique de leur situation dans le métier. Pourquoi font-ils du théâtre ? Comment font-ils du théâtre ? – Il est apparu qu’un grand nombre de comédiens est véritablement « perdu », a oublié ou est toujours à la recherche de la manière dont ils doivent évoluer dans leur pratique.

On devrait pouvoir comparer le métier de l’acteur à une forme d’artisanat honnête qui appelle le développement d’un savoir précis.

Mais la situation économique actuelle place l’acteur dans une position précaire. Et aujourd’hui, les acteurs n’ont pas de connaissances réelles de ce que représente leur art, d’une manière générale, mais également pour eux-mêmes : ils sont déracinés. Confrontés aux difficultés liées au chômage, les acteurs ne peuvent pas toujours se pencher sur le questionnement de leurs difficultés professionnelles et sur la recherche artistique qu’avec difficultés.

Comment un acteur peut-il s’astreindre à une discipline quotidienne de création alors même qu’il lui est nécessaire de trouver les moyens de survivre ? Comme un danseur, un chanteur lyrique ou un pianiste, chaque acteur doit pouvoir s’exercer quotidiennement sur les techniques qui servent de base à sa créativité. L’acteur doit être celui qui, au sein de la performance théâtrale, utilise son corps et sa voix, son intelligence sensible et rationnelle, les outils les plus essentiels de ce qui le rend homme, pour dévoiler l’humanité aux autres hommes.

Cette revendication ne peut émaner que d’une personne qui a pris conscience des limites de son art au sein du système professionnel de production actuel. Il s’agit d’un processus individuel et particulier.

Que signifie « être autonome », pour un acteur ? L’acteur autonome est dans un état de vigilance et d’éveil permanent par rapport au monde. Plus la conscience créative de l’acteur est effective, plus il est libre. Et plus il veut être libre, plus il doit être autonome.

Antonin Artaud, Constantin Stanislavski, Louis Jouvet, Jean-Louis Barrault ou encore Jerzy Grotowski furent très influencés par l’idée d’un retour aux racines traditionnelles. Il semble primordial d’appeler à nous des techniques séculaires, des méthodes acquises en leur principe, afin de les réveiller en ceux qui font le théâtre aujourd’hui. Tous les savoirs de l’acteur doivent être basés sur une technique véritable et une connaissance approfondie et académique des principes et des fondements du métier. » (Paris, 2006)

Crédits photos : Ideogram Arts, Paris, 2014.