#13 fruits, fleurs

La représentation n’est pas vraiment un aboutissement à mes yeux, mais plutôt la continuation du cycle de création. En même temps, il est primordial, lorsqu’on met en scène, de se soucier du résultat : mais je me demande s'il ne serait pas possible de trouver un autre terme pour parler de la rencontre avec le public.

POÉTIQUETHÉÂTREPROCESSUS

Erica Letailleur

11/15/20242 min read

Depuis très longtemps, je considère que c’est le processus qui prévaut sur le résultat. Ma relation à la création, au théâtre, est même conditionnée par ce rapport au temps comme cheminement. Dans ce sens, la représentation n’est pas vraiment un aboutissement, à mes yeux, mais plutôt la continuation du cycle de création. En même temps, il est primordial, lorsqu’on met en scène, de se soucier du résultat, parce que finalement, mon rôle est alors d’accompagner les acteurs jusqu’à la rencontre avec le public. Ensuite, la création vivra sa vie et sera surtout entre les mains de celles et ceux qui se trouveront sur le plateau.

Je me trouve en ce moment confrontée à des processus de durées variées. D’un côté, je prépare la première résidence de création des Criminelles au Bruit du Trapèze, à Persac, qui aura lieu au mois de décembre avec Léa Altman, Noémie Mailhol et Debora Moreira. C’est presque il y a un an jour pour jour que Léa est venue jusque chez moi à Antibes, pour en discuter et commencer à faire émerger ce projet – qui était resté à l’état d’une traduction que j’avais commencée l’année précédente : c’est-à-dire que ce travail a déjà deux ans et que nous avons encore plusieurs mois avant la première, qui sera le début du cycle de l’exploitation du spectacle, que je visualise sur un temps relativement long. D’un autre côté, je suis en train de préparer un atelier sur le processus créatif de l’acteur dans le cadre de la rencontre avec une autre culture pour le Festival International de Théâtre d’Ankara. Il s’agit là d’un travail qui durera deux jours et à l’issue duquel nous partagerons quelque chose avec le public.

C’est comme si j’étais en train de préparer un sprint, alors que je cours un marathon.

Cette espèce de course à deux vitesses me fait repenser à l’idée de résultat. Il ne me paraît être que l’émergence de ce cheminement sur la voie poétique de la création théâtrale. En réalité, l’idée de résultat n’est problématique que si on le pense comme une finalité. Plutôt qu’un résultat, j’aimerais trouver un autre mot, qui ne soit pas non plus « étape », parce qu’il indique un point qui est également une autre forme de finitude. Peut-être que « fruit » pourrait correspondre : il y a l’idée du cycle, dans l’image du fruit. Ou bien « fleur ». On reste dans le cycle du végétal. C’est un peu étrange de parler de la représentation comme de la « fleur » d’un processus créatif, mais pourquoi pas après tout. Une fleur dont on respirerait le parfum avec le public. Ou bien un fruit que l’on dégusterait collectivement. Il y a dans cette idée quelque chose de l’ordre des sens, aussi.

Je réfléchis publiquement. Cela aussi, c’est une partie du processus, finalement.